Le Printemps

Retracez l’histoire du grand magasin  Printemps et découvrez des photographies anciennes inédites

C’est en 1852 à l’initiative d’Aristide et Marguerite Boucicaut qu’apparait le premier grand magasin à Paris Au Bon Marché. À l’origine simple boutique de confection masculine, le magasin s’agrandit au fil des années et les immeubles voisins sont absorbés.

La construction du Printemps par Paul Sédille

Le Printemps – fondé en 1863 par Jules Jaluzot (1834 – 1916) – est un autre exemple de grand magasin qui voit le jour dans la seconde moitié du XIXe siècle. Fils de notaire ayant étudié à l’école de Saint-Cyr à partir de 1854, Jules Jaluzot change soudainement de voie professionnelle pour entrer dans le commerce. Il commence dans un premier temps en tant que commis à La Jeune Orpheline et aux Villes de France puis devient chef de rayon au Bon Marché. Son mariage lui apporte une dote lui permettant d’investir dans la construction d’un immeuble rue du Havre couvrant les angles du Boulevard Haussmann et de la rue de Provence, puis à partir de 1874, la rue de Provence. Cet emplacement est stratégique car il se trouve dans le quartier de l’Opéra alors en plein essor et à proximité de la gare Saint-Lazare dont la desserte permet de cibler une clientèle provinciale ou étrangère.

L’immeuble fut conçu par l’architecte Jules Sédille (1806 – 1871) et son fils Paul pour abriter au rez-de-chaussée, à l’entresol et au sous-sol sa nouvelle maison de nouveautés : le magasin Le Printemps, tandis que les étages étaient habités. Rapidement Le Printemps devient un des trois plus importants grands magasins de Paris, rival du Bon Marché et du Louvre. Sa grande différence réside dans le fait qu’il débute avec un magasin relativement important et non une modeste boutique agrandie au fur et mesure.

Le 9 mars 1881, vers cinq heures du matin, Le Printemps est détruit par un terrible incendie. Jules Jaluzot, très audacieux, fait alors appel à ses clients pour investir et fonder une nouvelle société Au Printemps dont il est le principal intéressé et le gérant. Il fait aussi appel à son personnel en proposant un intérêt aux bénéfices s’ils investissent dans l’aide à l’édification du bâtiment.

La reconstruction fut confiée à Paul Sédille (1836 – 1900) architecte rendu célèbre pour ses réalisations de plusieurs autres bâtiments tels que la basilique Jeanne d’Arc à Domrémy ou le pavillon des usines du Creusot à l’Exposition Universelle de 1878 et son utilisation magistrale du style polychrome de la Renaissance vénitienne lors du même événement.

Pour la réalisation de ce chantier qui s’étala entre 1881 et 1889, un programme précis avait été confié à l’architecte, celui de « reconstituer les magasins sur un plan d’ensemble comprenant désormais tout l’îlot enveloppé par le boulevard Haussmann, la rue du Havre, la rue de Provence et la rue Caumartin, puis procéder par lots de construction, en commençant par les parties en façade sur la rue du Havre, afin de continuer temporairement la vente dans les parties inférieures des immeubles que l’incendie n’avait pas complètement détruits ».

L’îlot sur lequel le nouvel immeuble du Printemps allait être édifié était un trapèze irrégulier de 2950m2 de surface. C’est notamment grâce à l’utilisation de rotondes à chaque angle du bâtiment qui créent un effet d’optique que ces irrégularités de plan furent dissimulées. Ces rotondes sont les seuls éléments ayant été réalisés en maçonnerie.

plan printemps
Printemps_nocopy

Le chantier n’était pas sans contraintes et a forcé l’architecte à rivaliser d’ingéniosité et d’innovations pour sa réalisation. En effet, l’immeuble côté rue Caumartin avait été épargné par l’incendie, réservé auparavant pour la confection, il fut alors utilisé pour la poursuite de la vente. Le chantier fut alors divisé en cinq lots afin de faciliter la cohabitation entre l’activité commerciale et les travaux.

De plus, l’îlot se trouve sur un sol argileux, peu résistant en raison de sa proximité avec une nappe d’infiltration. Paul Sédille, au fait des nouvelles techniques et précurseur, décida alors de couler les fondations à l’aide de caissons dans lesquels on insufflait continuellement de l’air comprimé. Cette méthode était jusqu’alors utilisée seulement pour la construction des ponts, elle fut pour la première fois appliquée à un ouvrage d’architecture au Printemps. Ainsi, sur ces massifs en béton d’environ 2,40m de côté s’élèvent des piliers formant toute la structure métallique de l’édifice.

Le choix du fer pour la structure par Sédille est notamment motivé par la contrainte d’un bâtiment à huit étages devant supporter d’importants poids avec le moins de maçonnerie possible pour garder la lumière. De fait, l’utilisation d’une structure métallique permet la construction d’un vaste bâtiment aux façades monumentales percées de nombreuses et larges fenêtres et d’ainsi privilégier la lumière et l’espace. Dès les années 1850, de nombreux architectes avaient fait appel au fer pour la réalisation de bâtiments – idée contraire à l’enseignement des Beaux-Arts – à l’instar de Paxton au Crystal Palace (1851 aujourd’hui détruit), Baltard aux halles (1853) ou plus tard Boileau au Bon Marché (1872).

Printemps_nocopy
printemps_nocopy

La structure métallique du Printemps s’étend aussi bien le long des parois intérieures de la façade, ce qui fait du Printemps un des premiers bâtiments avec une façade non porteuse. De ce fait, les murs extérieurs, ne portant rien, sont juste décoratifs. Toute la maçonnerie est ainsi portée par des constructions métalliques dont la pierre ne forme qu’une enveloppe, permettant alors de parler de réelle prouesse technique.

Printemps_nocopy

Il est décidé que la façade principale soit celle côté rue du Havre en raison de ses dimensions moins importantes. Cette façade, emblème de l’édifice, reprend la composition d’Henry Blondel pour celle du grand magasin La Belle Jardinière, réalisée en 1867. En partisan convaincu de la polychromie, Paul Sédille réalise la façade principale du Printemps en granit et marbre blanc flanquée de rotonde dans les angles surmontés de dôme. Elle est ornée de quatre sculptures d’Henri Chapu représentant les quatre saisons et de larges bandeaux en mosaïque polychrome sur lesquels on peut lire « Au Printemps » rehaussé d’or, dessinés par l’architecte et réalisés par Gian-Domenico Facchina en 1883. La polychromie sobre amorce une voie, plus tard suivie par Binet et Jourdain.
La façade latérale, boulevard Haussmann, est quant à elle percée de larges baies au rez-de-chaussée afin de faciliter la lecture de la vocation commerciale de l’immeuble.

La Belle Jardinière

Photographie de La Belle Jardinière réalisé par Henry Blondel, 1867

Façade Havre Printemps

Photographie du magasin Printemps réalisé par Paul Sédille en 1889

Les dispositions intérieures trouvent leur origine dans les passages couverts mais aussi les bazars orientaux, les églises et les palais de la Renaissance. Inspiré par les théories architecturales rationalistes de Viollet-le-Duc, Sédille laisse les structures métalliques apparentes à l’intérieur de l’édifice. Il réalise au rez-de-chaussée, une grande nef centrale dans le sens du terrain depuis la rue du Havre jusqu’à la rue Caumartin de 50m de long, 12m de largeur et 20m de hauteur, sous comble vitré et – importante originalité – grand plafond en vitraux destiné à éclairer et aérer l’édifice.

Le rez-de-chaussée, ainsi que les trois étages, étaient consacrés à la vente, tandis que le quatrième aux caisses et bureaux de la province et de l’étranger. Les deux derniers sous les combles servaient de réserve de marchandise, cuisine et réfectoire. Le sous-sol était destiné à la réception et l’expédition mais aussi à l’installation du nombreux matériel mécanique affecté au service du chauffage, de l’eau et de l’éclairage électrique. Ce dernier fait partie des autres éléments de modernité de ce chantier, puisqu’on comptait 160 foyers Jablohkov, des nouvelles lampes à arc et 112 lampes à incandescence. Le Printemps était ainsi en avance sur la capitale qui attendra 1889 pour installer l’éclairage public électrique.

D’autres transformations furent par la suite apportées à l’architecture en 1904 par René Binet, ainsi qu’en 1907 avec le projet d’un second bâtiment. Néanmoins, Le Printemps de Sédille fut rapidement considéré comme le grand magasin modèle notamment par son aménagement qui représente un espace fonctionnel. De plus, les historiens d’art et d’architecture le reconnaissent aujourd’hui comme le prototype du grand magasin mais aussi de l’édifice industriel moderne.

Dans son roman Au bonheur des Dames, publié en 1883, Emile Zola raconte l’histoire d’Octave Mouret directeur du grand magasin Au Bonheur des dames, inspiré du Bon Marché. Dans la description suivante, il décrit l’architecture du grand magasin fictif Au Quatre Saisons, inspiré par le Printemps de Sédille :

« C’était comme une nef de gare, entourée par les rampes de deux étages, coupée d’escaliers suspendus (…), les ponts de fer jetés sur le vide, filaient droit, très haut ; et tout ce fer mettait là, sous la lumière blanche des vitrages, une architecture moderne d’un palais du rêve, d’une Babel entassant des étages, élargissant des salles, ouvrant des échappés sur d’autres étages, et d’autres salles, à l’infini. Du reste, le fer régnait partout, le jeune architecte avait eut l’honnêteté et le courage de ne pas le déguiser sous une couche de badigeon imitant la pierre ou le bois. En bas, pour ne point nuire aux marchandises, la décoration était sobre, de grandes parties unies, de teinte neutre ; puis, à mesure que la charpente métallique montait, les chapiteaux des colonnes devenaient plus riches, les rivets formaient fleurons, les consoles et les corbeaux se chargeaient de sculptures ; dans le haut, enfin, les peintures éclataient (…) au milieu d’une prodigalité d’or, des flots d’or, des moissons d’or… » Au bonheur des dames, Emile Zola

 

au bonheur des dames

Découvrez nos autres collections